Pourquoi est-elle à peine surprise de se voir livrer, le lendemain seulement de son anniversaire, ce drôle de cadeau réalisé par Interflora ?
On est mardi, jour de séance chez le psy. Elle y voit un signe : le temps est venu de se confronter au gros problème.
« C’est Maman, explique-t-elle. Ce genre de cadeau, c’est Maman. Tout craché.
– Vous n’aimez pas les fleurs ?
– Ce n’est pas la question. Ma mère, elle a été capable d’envoyer un chèque comme cadeau. Et en plus, des semaines après mon anniversaire. Et pour ne rien gâter, en m’appelant du prénom de ma fille !
– Peut-être était-ce à sa petite fille qu’elle le destinait, avec seulement une erreur de date ?
– Peu importe, ce chèque bancaire, c’était pour acheter quoi exactement ? Remarquez, par la suite, elle s’est améliorée. C’est à mon nom qu’elle a envoyé, non plus un chèque, mais un bon d’achat chez Carrefour, pour mes quarante ans.
– Qu’en avez-vous fait ?
– Je crois que je l’ai refilé à un proche.
– Et là, ce midi, des fleurs. C’est mieux, non ?
– Oui c’est mieux, d’un certain point de vue. Et avec moins de retard. Mais pour moi, c’est une hantise que ces périodes d’anniversaire où elle va se manifester.
– Vous en pensez quoi, de ce choix ? Un bouquet de fleurs, tout de même…
– J’en pense que c’est une façon de se réhabiliter à bon compte. Comme si, en essayant de se souvenir de la bonne date, et en cessant de vouloir m’acheter, elle faisait amende honorable.
– Quand même, quand même… une mère, sa fille, des fleurs… ce n’est pas banal ! Envoyer des fleurs, ça se conçoit entre amoureux, n’est-ce pas ?
– Ben… où voulez-vous en venir ?
– On peut exclure le rapport amoureux entre toutes deux, je crois. Ce qui nous amène à voir les choses autrement. Et si votre mère, loin de s’amender, avait inconsciemment utilisé votre anniversaire pour, encore une fois, comme chaque année, se décerner une preuve qu’elle est une femme bien.
– …
– Je veux dire une femme qui se comporte bien. Une mère qui met son enfant à l’abri du besoin en lui envoyant de l’argent. Une mère stoïque ,même quand sa fille la bat froid.
– Vous croyez vraiment qu’elle croit tout ça ?
– Vous espérez qu’elle change, qu’elle s’améliore. Vous pourriez bien résister à voir que non, elle ne change pas, qu’au contraire, envoyer des fleurs, pour elle, c’est s’auto-glorifier.
– Vous voulez dire… pour ma mère… envoyer des fleurs, c’est… s’envoyer des fleurs ?
– Peut-être bien ! Remarquez que ces deux formules, avec ou sans le s, ont un sens si différent ! On pourrait presque y voir un lapsus. Votre anniversaire, c’est son anniversaire. Le jour mémorable, pour vous, de votre naissance, c’est aussi, pour elle, le jour mémorable où elle est devenue mère. Peut-être que votre maman voit tout simplement midi à sa porte.
Cela étant, la cure de psychanalyse doit veiller à ne pas se tromper de sujet. En séance, décrypter le fonctionnement d’un tiers est aisé : on est deux à réfléchir. Mais analyser son propre fonctionnement, analyser non pas ses parents mais son propre rapport aux parents, c’est une tout autre affaire. Un décryptage passionnant, émancipateur… mais ardu.
La morale de l’histoire :
Le jour où l’on parvient à élucider ses propres émotions vis-à-vis de ses parents… on sera capable de jeter les bouquets empoisonnés, au lieu de les disposer joliment dans sa véranda…