Tonino Benacquista, auteur reconnu, primé, césarisé, publie son autobiographie dans la célébrissime collection nrf de Gallimard. La grossièreté du titre s’imposait-elle ?
Depuis Saga, son grand roman publié voici un quart de siècle, Monsieur Benacquista n’en finit pas de gâcher son talent littéraire. On dirait que son style brillant l’assigne à la superficialité. On déplore chez lui une incapacité à la profondeur, y compris quand il essaye, comme dans cette autobiographie, de parler de lui-même, de son enfance, de sa famille.
L’ouvrage accumule des chapitres très courts, des saynètes qui effleurent les sujets, presque comme s’il fallait se débarrasser d’une corvée. La fluidité du style ne compense pas la froideur, la distanciation, l’évitement. Rien d’attachant dans ce livre alors que le sujet – l’immigration d’une famille italienne riche de nombre de personnages – , offrait une belle opportunité à un écrivain de peindre une fresque.
Du point de vue psychanalytique, l’auteur d’un roman, en écrivant, vit un rêve éveillé. Le sujet du rêve, c’est l’histoire qui s’invente au fil des mots. D’autre part, le lecteur d’un roman, en lisant, vit le rêve de l’auteur.
Lire et écrire seraient ainsi deux activités psychiquement équivalentes. Dans les deux cas, on débranche un peu la conscience et on se laisse emporter. Cette similitude va jusqu’à pouvoir prétendre que lire et écrire, c’est la même chose : on rêve.
C’est d’ailleurs ainsi que nous expliquons cette observation fréquente chez ceux qui écrivent : « quand j’écris, je n’ai pas envie de lire », ou même « quand j’écris il m’est impossible de lire ».
C’est un fait. Il semble que lire et écrire se ressemblent tant qu’ils s’excluent l’un l’autre. On ne fait jamais deux rêves en même temps.
Quand Monsieur Benacquista parle du geste d’écrire comme une revanche sur la lecture, opposant ainsi les deux actions, il manifeste une ignorance étonnante de la psychanalyse, à laquelle il a pourtant consacré un recueil de nouvelles ( Tout à l’égo ).
Cet écrivain surfe sur la réalité, sur la vie, comme il surfe sur sa propre psyché. Dommage : ces questions ne sont-elles pas les grands sujets de la littérature ?
Revenons à la grossièreté du titre. Elle apparaît finalement comme une facilité dans la provocation, le genre d’expédients dont on use quand le fond manque de substance.
Une œuvre compréhensible au plan psychologique, décevante au plan littéraire.
Porca miseria
Tonino Benacquista
NRF, Gallimard, 2022