La cinquième affiche électorale est la seule qui présentera aux électeurs un candidat… sans faire apparaître son nom de famille. Un oubli ?
Dans une réalisation publicitaire, il n’y a jamais d’oubli. De nombreuses paires d’yeux s’attachent à chaque détail, tout est pensé, le message comme la forme.
Qu’une affiche ne mentionne pas le nom du candidat, c’est donc volontaire.
Que cette affiche fasse disparaître le logo – une flamme tricolore – du parti politique de la candidate, c’est aussi volontaire.
Que le nom même du parti ne soit pas mentionné, c’est volontaire.
La raison de ces dissimulations est évidente :
Le Pen est un nom aux connotations négatives. On dit même qu’il provoque un « plafond de verre », c’est-à-dire un volume incompressible de gens qui ne voteront jamais pour.
Or tout le monde sait que Marine est la fille de l’affreux Jean-Marie. Nul besoin d’insister !
De même, l’image du Front National ( atténué en Rassemblement National ) et de la flamme est fort négative au-delà des électeurs déjà acquis à l’extrême droite.
Or tout le monde connait Marine. Tout le monde connait son parti. Ses thèses. Ses positions en matière de sécurité, d’immigration, de préférence nationale ( atténuée en priorité nationale ). Nul besoin d’insister !
En revanche, la candidate est bien autre chose que l’héritière d’un dictateur raté.
Et elle a en horreur les idées rancies qui structurent son parti.
Alors au lieu de répéter des informations notoires et gênantes, elle va tenter de nous dire autre chose. Par le ripolinage de façade que présente cette affiche, on veut nous proposer une autre image. Plus respectable, et surtout plus conforme, peut-être, à ce que la candidate est vraiment, à ce qu’elle pense vraiment.
Disparues nos trois couleurs. On s’inscrit en bleu. Le bleu de la marine, le bleu qui est la couleur de la droite classique en France.
Le vêtement est absolument classique. Marine est habillée à la fois comme l’est, chez nous, une femme « bien », et à la fois comme le sont, en Europe, les femmes politiques de premier rang telles que Maggie ou Angela.
La coiffure est naturelle, sans sophistication. Elle correspond bien à une femme du peuple, une femme active, surtout pas à une femme de la haute ou une actrice de cinéma.
Le maquillage et les accessoires sont discrets. Féminine, sans en jouer.
Enfin, l’accroche. Marine ne pense pas. Pas besoin de slogan. Marine est.
L’accroche – Femme d’État – correspond à l’une des deux conceptions qui nous divisent concernant l’élection présidentielle. Élisons-nous un pilote, ou bien décidons-nous de la direction à prendre ? L’affiche ressort de la première conception. C’est la personne qui compte, pas le programme. Il s’agit donc de nous parler de cette candidate.
Femme d’État est l’angle choisi.
Elle aurait pu parler de sa légitimité de femme politique expérimentée.
Elle aurait pu parler de sa pulsion maternelle et maternante, elle qui se rêve en défenseur de tous les pauvres de France contre les nantis.
Elle aurait pu assumer ses valeurs de femme un peu bobo, qu’elle parvient d’ailleurs de moins à moins à dissimuler.
Elle a opté pour Femme d’État… Pourquoi pas ? Ce choix semblait peut-être nécessaire pour effacer l’impression désastreuse du débat de second tour contre Macron en 2017, au terme duquel on a pu penser « elle n’a pas le niveau ».
Femme d’État, c’est le haut niveau. Indira Gandhi, Benazir Bhutto, Golda Méir… L’affiche flatte la candidate, c’est le jeu.
Car il est une autre image, dépréciative, qui se glisse là-derrière.
Vous vous souvenez de l’épaisse poissonnière blonde, à la faconde inépuisable, forte en gueule et aux bras comme des battoirs ?
Oui, oui, la femme d’Ordralphabétix le marchand de poisson dans Astérix.
Et vous souvenez-vous de son nom ?
Un indice : il y a « marine » dans son nom ; ça ne s’invente pas…
Un second et dernier indice : l’embarcation des Beatles.
Là, la mémoire est revenue n’est-ce pas ?
Ielosubmarine a décidé de prendre la place du chef.
Tout le défi de l’affiche, c’est de nous convaincre que la sous-marine jaune peut nous cuisiner autre chose qu’un fish & chips.