Michel Bouquet vient de nous quitter. Ses fans se souviendront de son personnage de patron de presse dans le film Le jouet.
Au début des années 1970, Pierre Richard s’installe en haut des affiches du cinéma français. Vedette comique, il s’invente un personnage récurrent, François Perrin, en butte aux travers de la publicité dans Le distrait ( 1970 ), de la télévision dans Les malheurs d’Alfred ( 1972 ), des ventes d’armes dans Je sais rien mais je dirai tout ( 1973 )…
Francis Veber, qui essaie de tourner son premier long métrage, le sollicite. Son scénario campe un journaliste au chômage, embringué dans un job de pantin vivant pour gosse de riches.
Pierre Richard est d’accord pour produire le film. Il réserve à François Perrin le premier rôle. Du coup, Le jouet va bénéficier d’une distribution inespérée : Daniel Ceccaldi, Charles Gérard, Michel Aumont, Jacques François, Yves Barsacq, Gérard Jugnot…
Ce que personne n’a prévu, c’est que Michel Bouquet, dans un second rôle – le père de l’enfant trop gâté – viendrait voler la vedette à tout le plateau.
Bouquet a alors 50 ans. Son univers de prédilection est le théâtre classique. Au cinéma, son jeu fabrique des personnages sans aspérité, presque sans émotion. Sa retenue impressionne.
Or voilà que, dans une comédie grand public, il joue le patron autocrate. Il le fait à sa manière, le plus sérieusement du monde. Les autres acteurs nous enchantent de leurs exagérations, de leurs clins d’œil, de leurs grands gestes, lui s’exprime sobrement, au premier degré, bouge lentement, le visage minéral. Son personnage acquiert de ce fait une densité, un poids qui polarise l’attention du spectateur dès qu’il apparaît dans une scène.
Bouquet a eu 14 ans en 1939, 20 ans en 1945. Sous l’Occupation à Paris, sa jeunesse se trouve un haut-lieu, l’Opéra-comique, qu’il fréquente en spectateur avec sa mère. Son père est absent, capturé au début de la guerre et prisonnier depuis.
Dans Le jouet, où il incarne un père à la fois absent et écrasant pour son jeune fils, il va se voir supplanté par le journaliste qui en devient le père d’adoption. Sur le tournage, il se montre attentif au rapport institué avec le jeune acteur, âgé de 11 ans. Il conserve une distanciation salutaire avec l’enfant, pour lui épargner l’inconfort d’une confusion avec son père biologique.
La subtilité de l’acteur, évidente dans la finesse de sa compréhension psychologique, nourrit ce que l’on nomme « présence » au cinéma.
De ce fait, les répliques du glacial patron prennent un poids dévastateur. Car Le jouet est aussi une satire sociale, qui évoque la subordination de l’employé, la soumission du pauvre, la dépendance du journaliste. La puissance de Bouquet fuse dans cette réplique, assenée par le grand patron à son bras-droit en train de se dévêtir :
J’ai une question importante à vous poser : qui de nous deux est le monstre, moi qui vous demande d’ôter votre pantalon, ou vous qui acceptez de montrer votre derrière ?
La complexité d’un patron, d’un père, d’un mari, sans cœur et méprisant mais, au fond, prisonnier de lui-même, c’est l’impérissable cadeau offert par Michel Bouquet. Il aura élevé un scénario étique au rang de film culte.
Car le succès fut mitigé à la sortie, en 1976. Heureusement, avec le temps, le film prend sa place dans le cinéma français.
Au XXIème siècle échouent des tentatives de remake. C’est Sony Pictures qui, avec le réalisateur James Huth, va réussir le challenge :
Jamel Debbouze reprend le rôle de Pierre Richard, et Daniel Auteuil celui de Michel Bouquet, dans Le nouveau jouet, qui devrait sortir à la fin de l’année.
Qu’il soit un hommage au grand Bouquet.
Le jouet
Un film français de Francis Veber avec Pierre Richard et Michel Bouquet
Fideline Films, 1976