Le journaliste Victor Castanet a enquêté pendant trois ans sur les principaux groupes français privés d’EHPAD. Son livre-bombe explose en pleine présidentielle.
L’auteur révèle, dans un EHPAD haut de gamme…
La rage d’un homme qui jette au mur sa couche pleine, faute de pouvoir obtenir un minimum de service de propreté intime.
Des pensionnaires contraints au jeûne parce qu’on ne prévoit pas de personnel pour les nourrir.
Une dénutrition généralisée.
Des escarres qui s’installent faute de soin et qui, non traitées, conduisent à des complications parfois fatales.
La violence entre les pensionnaires, qui faute de surveillance peut aller jusqu’au meurtre…
A ce point de la lecture. On renonce à poursuivre…
Le journaliste-enquêteur n’a guère été attaqué en justice par ceux qu’il accuse. Les enjeux, en termes d’image, sont si importants – le chiffre d’affaire annuel du seul groupe Orpéa est de 4 milliards € – que l’auteur aurait été bruyamment traîné en correctionnelle pour diffamation si la moindre révélation avait manqué de sérieux.
Les dirigeants de ce même Orpéa, auditionnés depuis au Parlement, ont contesté que les faits relèvent d’un système. Ils les ont attribués à des erreurs. C’est une façon d’avouer…
On a donc tout lieu de penser que le livre raconte la vérité.
Ces horreurs se produisent dans des établissements où le séjour est facturé plusieurs milliers d’euros ( voire plus de dix mille euros ) chaque mois. L’opérateur, lui, offre des rendements inouïs à ses actionnaires. Ce qui signifie que le supplice de nos anciens n’est même pas un problème de coût.
Est-ce un problème de contrôle ?
Un contrôleur de la SNCF, ou une Pervenche, ont apparemment pour fonction de détecter et sanctionner les brebis galeuses – certains usagers pouvant manquer d’esprit civique.
Comme si acheter volontairement un billet avant de grimper dans un train, ou mettre deux pièces dans le parc mètre sans qu’un agent promène alentours son uniforme… allait de soi ! Pour la psychologie, ça ne va pas de soi ! Tout au contraire, il est éminemment sain, et humain, de résister, de contourner, de négocier avec la contrainte.
Et donc, en réalité, nous sommes tous des brebis galeuses. Il s’agit de nous contraindre…
Aussi…
Voilà Monsieur Macron interviewé à propos du scandale des EHPAD révélé par Les Fossoyeurs.
« II faut mieux contrôler, certains opérateurs se comportant mal », déclare-t-il.
Mais non.
Le problème de la population des exploitants privés d’EHPAD n’est pas que « des » brebis galeuses s’y dissimulent. Le problème, c’est que, spontanément, aucun d’entre eux n’a comme objectif de traiter correctement un pensionnaire ! Le but final, comme pour tout opérateur économique, est de générer des bénéfices.
Ces opérateurs privés ont baptisé leur activité silver economy.
En France, ils parlent de nos aînés comme de l’or gris.
Et savez-vous ce qu’en dit le dirigeant – français – du premier groupe mondial d’EHPAD ?
« Notre business c’est le parcage des vieux » ( in Les Fossoyeurs )
Ils assument, donc, avec tout le cynisme de l’économie moderne.
Cela étant, plus que le phénomène de déshumanisation et de maltraitance en lui-même, l’enquête montre surtout son exacerbation dans les EHPAD privés. Car on a appris, à l’occasion du débat suscité par le livre, que les EHPAD publics et les EHPAD associatifs ne sont guère épargnés par le phénomène.
Qu’en dit la psychologie ?
Le problème de la maltraitance des personnes âgées nous semble comporter une dimension psychologique décisive :
Si vous mettez en présence, d’une part, une partie forte dont l’intérêt est de nuire à une autre partie qui n’est pas en mesure de se défendre, et d’autre part, cette partie faible, alors vous êtes sûrs que l’abus de faiblesse se produira.
La maltraitance dans les EHPAD est inhérente à cette pulsion humaine. Tout comme les violences dans le cercle familial. Ou la torture à l’encontre de prisonniers…
Ce qui est sûr à propos de personnes non autonomes qu’on oblige à vivre dans un EHPAD, c’est qu’on les condamne à la maltraitance.
Le problème, c’est l’EHPAD en lui-même, et non son contrôle.
On s’interroge sur la bonne solution au problème de la vie après la fin de l’autonomie personnelle. Nombre de pistes existent, en débattre est urgent.
Et on est éclairé par le cynisme absolu de notre Président. Il sait parfaitement ce qu’il en est. Il connait personnellement les exploitants du secteur. Il vient pleurnicher à la télé sur le sort de ses compatriotes âgés. Et en même temps, il laisse délibérément se développer l’horreur.
Les fossoyeurs
Révélations sur le système qui maltraite nos aînés
Victor Castanet
390 pages, Fayard 2022