Christiane Taubira, mère courage de la politique, renonce à se présenter à la prochaine élection présidentielle. Comment comprendre un tel sacrifice ?
Flashback :
En 2002, Madame Taubira tente sa chance, alors qu’elle n’en a aucune. Elle recueille… 2 %.
Ce qu’elle en pense aujourd’hui, quand on l’accuse d’avoir fait perdre Lionel Jospin :
« S’il fallait recommencer, je recommencerais. A gauche, il y avait en plus de Jospin, Mamère, Hue et moi. Et je serais la seule à avoir posé un problème, la seule coupable ? »
Revenons à aujourd’hui :
Taubira est une icône pour le peuple de gauche ; une majorité de sympathisants socialistes, insoumis et écologistes la plébiscitent comme candidate à la prochaine présidentielle.
Mais ce coup-ci, elle se défile :
« Je ne veux pas contribuer à l’éparpillement. Je vais apporter mon obole, mais voilà, l’enjeu est trop important », explique Madame Taubira dans la presse.
Pourquoi ce refus, alambiqué, presque embarrassé, dans la bouche d’une personnalité qui d’ordinaire ne mâche pas ses mots ?
Une explication politique
L’éditorialiste politique Thomas Legrand a sa thèse :
Christiane Taubira, candidate unique de la gauche, pourrait atteindre le second tour. Et se trouver en face-à-face avec Marine Le Pen. Elle cristalliserait les haines ambiantes, par sa seule présence de femme, noire, de gauche. Pas question, donc, pour elle, de prendre le risque de porter l’extrême-droite à l’Élysée.
Cet argument requalifie l’effacement volontaire… en sacrifice.
Intéressant.
Une explication psychanalytique
Pour la psychanalyse, nos décisions ne sont jamais entièrement froides et rationnelles. Un enchevêtrement de pulsions les détermine en grande partie.
Quand quelqu’un clame, serait-ce de bonne foi, « je me sacrifie », le psychanalyste entend une force sous-jacente : il y aurait là une profession de foi narcissique.
Narcisse : le personnage mythologique qui aime à se languir, contemplant sa propre beauté.
En l’espèce, se sacrifier pour le peuple de France, cela revient à se donner le rôle le plus généreux qui soit. Cela revient à pouvoir s’aimer, à se donner une belle raison de s’aimer.
Madame Taubira, renonçant à se présenter, s’offre une récompense narcissique.
Mais ce n’est pas tout.
Le sacrifice est aussi destiné à éviter une débâcle personnelle – Madame Taubira craindrait de perdre contre Le Pen, alors que d’autres concurrents, eux, gagneraient facilement.
La vaillante femme de gauche veut-elle éliminer le risque d’échec de son camp, ou bien, ce qui est moins avouable, veut-elle surtout éliminer le risque de dégradation de son image ?
Ainsi, on voit se superposer sacrifice et préservation.
L’accès de narcissisme est double.
Bon.
Ne jugeons pas Madame Taubira. Sa pulsion est humaine, elle existe en chacun de nous.