Dans une collection à la présentation luxueuse, Actes Sud réédite le chef d’œuvre d’un maître de la littérature russe du XXème siècle.
Evguéni Zamiatine ( 1884-1937 ) est un auteur constamment insupportable : censuré sous le Tsar avant la Révolution bolchevique… et sous Staline après.
Un OVNI littéraire
L’inondation raconte le destin dramatique d’une femme presque quadragénaire, pauvre, sans instruction, femme d’ouvrier… et stérile.
L’écriture est dense, concise, imagée, déclinée au rythme de la vie des miséreux. Mais chacun des sept chapitres fait impitoyablement progresser l’histoire. Elle comme un train dont les rails figurent la contrainte du destin, jusqu’au dénouement.
En 70 pages surgissent le désir, la soumission, la jalousie, le désespoir, la rébellion, la folie, la haine, la libération, la jouissance. L’auteur ne se départit jamais d’une rigoureuse – et élégante – retenue, jusque dans les scènes les plus spectaculaires.
Je ne détaille pas plus, pour ne pas « spoiler » cette histoire à lire absolument.
Une leçon de psychanalyse
Laissez-vous conduire très loin dans l’âme humaine…
Et chemin faisant, au-delà de ce plaisir de lecteur, vous rencontrerez un thème fondamental de la psychanalyse freudienne : le mouvement excitation-satisfaction-apaisement.
Ainsi le roman peut se lire comme le tracé d’une ligne de vie, une courbe qui, à deux reprises ( vous découvrirez lesquelles ), va grimper soudainement, et redescendre.
Magnifique exemple de la pulsion qui véhicule l’excitation jusqu’à sa résolution ( orgasme ? ), puis qui s’éteint dans un retour au calme que chacun appelle comme il veut : soulagement, extase, relâchement, bonheur, petite mort, mort…
Mystère de l’humain : nous éprouvons des difficultés à déceler, au-delà des expériences « simples » ( le sexe, un bon repas, un tour de grand huit au parc d’attractions ), ce qui peut ou devrait nous épanouir.
La cure de psychanalyse veut justement rendre conscientes des pulsions qui nous agitent, détecter là où elles veulent nous mener, identifier les indésirables, reconnaître les chemins à leur faire emprunter pour qu’elles se résolvent, exprimant pleinement nos désirs…
L’inondation peut être finalement compris comme un anti-modèle : le dur destin de l’héroïne figure nos pulsions délétères, que nous pouvons essayer de conjurer… par le travail sur soi.