Clin d’œil au soulèvement des Gilets-Jaunes, Eric Vuillard publiait en 2019 le récit de quelques soulèvements oubliés. A relire avant d’aller voter.
Au début de la Renaissance en Europe, partout les gouvernants pressurent le peuple.
Poll tax, taille ( impôts par tête ), formariage ( impôt par mariage ), corvée ( travail forcé ), viatique ( équipement ), dîme, champart, récolte de paille ( impôts sur les récoltes ), mainmorte ( appropriation des biens du décédé ), cens ( loyer de la terre ), droit de première nuit ( cuissage ) remplacé par merchet… les pauvres sont poussés à bout.
En 1380 à Brentwood, puis dans le Kent, le Norfolk et le Sussex, les paysans se soulèvent. Arrivés à Londres, ils sont repoussés, dispersés, poursuivis, exécutés.
En 1450, les pauvres assaillent à nouveau Londres. La révolte sera impitoyablement matée.
Peu après, en Bohême, émeute du peuple. Prague flambe. Les meneurs sont brulés vifs.
Puis la Souabe se soulève. Et le Tyrol. Et la Thuringe. En 1525, à Mulhouse, se concentrent les révoltés. Finalement, à la bataille de Frankenhausen, l’artillerie des princes les hache menus.
Deux siècles de rébellions sont résumés en quelques pages, faisant apparaître des constantes :
1 Les pouvoirs locaux ( seigneuriaux ), nationaux ( royautés ), européens ( Église ), imposent le bas peuple jusqu’au seuil de douleur.
2 L’insupportable provoque la révolte, dès qu’émergent des leaders désinhibés.
3 Bientôt la répression s’abat.
4 Les meneurs sont anéantis, la terreur s’installe et rétablit l’ordre pour quelques décennies.
Et donc :
Quand le Prince pressure le peuple, il sait que viendra la révolte. Qu’il lui faudra réprimer.
Qu’en est-il de nos jours ?
En 1994 ( SMIC jeunes ), en 2006 ( CPE ), en 2013 ( écotaxe ), les Princes ont reculé, renonçant à leurs projets de taxes ou de salariat à vil prix.
En 2018, augmentant la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, Emmanuel Macron savait nécessairement qu’il aurait à affronter les victimes de sa conception de la fiscalité.
Il battit très vite en arrière, limitant la catastrophe répressive. 4000 blessés, 30 estropiés, les forces de l’ordre montrèrent en quelques semaines leur capacité à l’ultra violence. On décomptera également 12 morts sur les 3 premiers mois du mouvement, dont par miracle aucun ne sera directement attribué à la police.
Assassiner, c’est tuer avec préméditation.
Macron est-il un assassin ?
Quand des troubles à l’ordre public menaçaient, Mitterrand, Chirac, Hollande desserraient l’étreinte sur les pauvres. Macron, lui, couvre ceux qui agressent les gens en son nom.
Alors, que des dizaines de milliers de fans de Zemmour, réunis au Trocadéro, crient « Macron assassin ! » quand sont évoquées les victimes du terrorisme islamiste, peut-on être d’accord avec cette exagération ? Certes non. Mais en même temps… on ne prête qu’aux riches, n’est-ce-pas ? Emmanuel Macron gouverne comme un assassin, sans la moindre empathie pour ceux qu’il pousse à bout, et sans la moindre dose du sens politique de ses prédécesseurs.
La guerre des pauvres donne à réfléchir. L’auteur, dans son style alerte, spirituel et direct, de sa plume érudite, humaniste et discrètement sarcastique, réussit un bel exercice de critique décalée de notre société contemporaine.
La guerre des pauvres
Eric Vuillard
65 pages, Albin Michel 2019